« Publicités et travail marchand. La manipulation des documents publicitaires sur le marché des télécommunications. » Roland CANU

Thèse de doctorat de sociologie soutenue le mardi 11 décembre 2007, à l’Universtité Toulouse II – Le Mirail, sous la co-direction de thèse : Franck COCHOY (UT2J) et Alexandre MALLARD (Encadrant France Télécom)

Résumé de la thèse: Publicités et travail marchand : sur le marché des télécommunications, les liens entre les publicités et l’activité déployée, d’un côté par les professionnels du marché pour représenter les offres, établir des critères de jugement pertinents et orienter les consommateurs parmi les biens économiques et, d’un autre côté, par les acteurs de la demande pour élaborer de nouveaux choix en mobilisant un certain nombre de supports prescriptifs, forment le point de départ de cette recherche. La mise au pluriel de la publicité nous autorise à concentrer nos observations sur l’une de ses formes les plus usuelles, à savoir les imprimés (brochures, leaflets, mailings, magazines, catalogues) qui circulent sur le marché et passent de main en main, du côté des acteurs de l’offre et de la demande. Nous proposons ainsi de les suivre, sur les places marchandes, et parfois même au-delà, dans la construction/l’orientation des parcours de consommation. L’avantage de ces objets publicitaires, du moins que l’on considérera comme tels à partir d’une analyse de leur contenu, réside justement dans leur matérialité : ils sont saisissables, visibles, palpables ; on peut les toucher, les manipuler, les suivre à la trace.
Dès lors, il ne s’agit plus, dans ce cadre, d’associer l’action publicitaire à la réception des messages par le public, au décryptage de leurs contenus, mais de considérer l’immersion de l’objet publicitaire dans l’activité commerciale. À bien observer cette activité, sur ce marché particulier des télécommunications, on ne peut en effet se satisfaire d’une intervention des publicités sans doute profonde mais aléatoire (une trace du message est peut-être enfouie dans l’inconscient des individus ou conservée fragilement dans un coin de leur mémoire), qui serait préservée de tout contact avec la matérialité et la froideur économique pour mieux en assurer l’enrobage culturel et symbolique. En d’autres termes, nous préférons, au moins dans un premier temps, à la manipulation des consommateurs par la publicité, la manipulation des imprimés publicitaires par les acteurs marchands. Cette focale n’évacue en rien la question du contenu des messages mais pose également avec insistance celle de leur matérialité et, surtout, des situations, marchandes ou non, bref de la configuration circonstancielle préexistante, dans lesquelles ils s’inscrivent et sur lesquelles ils sont censés agir, que ce soit dans un service marketing de l’opérateur Télécom, dans la boîte aux lettres d’un client, en boutique ou encore dans un centre d’appels. Nous nous demanderons ainsi quelles sont les conséquences, pour une sociologie de la publicité, de l’incarnation du discours publicitaire, de son inscription physique dans les pratiques commerciales. Nous chercherons également à comprendre si les publicités, comme documents qui proposent une traduction à la fois partielle, orientée, mais aussi intelligible de l’offre, s’apparentent à des écrits de travail marchand susceptibles de soutenir et de structurer les actions. Dans ce cas là, quelles seraient les spécificités publicitaires de ces écrits ? Et quand pourrait-on dire d’un document qu’il est ou n’est pas publicitaire ? Enfin, en opérant ce basculement, la publicité ne rentre-t-elle pas dans le rang pour ne devenir finalement qu’un outil de plus, parmi les multiples autres que les sociologues du marché s’évertuent à analyser ?
Ainsi, en restant à la surface des marchés, cette enquête ambitionne de participer à la démystification de la magie publicitaire, sans pour autant qu’une telle démystification lui retire tout son pouvoir. Déplacer le regard pour observer certaines dimensions plus pragmatiques du répertoire d’actions publicitaires ne signifie pas en effet contester son efficacité ou la réduire, seulement la resituer dans le cadre de situations commerciales ordinaires et interroger la redéfinition conjointe de l’identité même de son incorporation, et de la nature des collectifs marchands.

Jury:
Franck Cochoy, Professeur de sociologie à l’Université Toulouse le Mirail
Antoine Hennion, Directeur de recherche au Centre de Sociologie de l’Innovation (Rapporteur)
Christian Licoppe, Professeur de sociologie à l’Ecole Nationale Supérieure des Télécommunications (Rapporteur)
Alexandre Mallard, Sociologue, responsable UTE au laboratoire Sociology and Economics of Networks and Services, Orange Labs
Anne Sauvageot, Professeur de sociologie à l’Université Toulouse le Mirail