« Parcours des diplômés de l’université : les files d’attente pour l’éducation et l’emploi à l’aune de Sen et Bourdieu. » MÉNARD Boris
Thèse de doctorat en économie sociale, soutenue en décembre 2017, sous la direction de Philippe LEMISTRE
Jury :
Christine Erhel, Professeure des universités, Conservatoire National des Arts et Métiers (rapporteure)
Jérôme Gautié, Professeur des universités, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (rapporteur)
Jean-François Giret, Professeur des universités, Université de Bourgogne (président)
Philippe Lemistre, Ingénieur de Recherche HDR, Céreq (directeur de thèse)
Josiane Véro, Ingénieure de Recherche, Céreq (membre du jury)
Bénédicte Zimmermann, Directrice d’études EHESS (membre du jury)
Résumé : Cette thèse a pour objet de recherche l’analyse des inégalités appliquées d’une part aux parcours éducatifs des jeunes vers et dans l’enseignement supérieur français et, d’autre part, à leurs répercussions sur l’accès à l’emploi. L’intérêt pour une analyse en termes de trajectoires apparaît de plus en plus légitime en regard de la variété croissante des parcours, y compris pour accéder à un même diplôme du supérieur. En effet, les inégalités à l’insertion entre diplômés sur le marché du travail s’accentuent, non seulement entre détenteurs de diplômes distincts, mais aussi comparables. Cette diversité justifie de s’intéresser aux déterminants et composantes des parcours éducatifs qui ont une influence sur les débuts de carrière bien au-delà du seul diplôme final. Pour expliquer cette diversité et les déterminants des choix individuels, nous mobilisons une approche socioéconomique originale autour des concepts de Sen et Bourdieu pour décrire les espaces d’opportunités dont disposent les jeunes et les contraintes auxquelles ils font face dans un contexte institutionnel marqué par une file d’attente vers les meilleures places dans l’enseignement supérieur puis sur le marché du travail.
Une telle démarche nécessite dans une première partie une revue critique des théories usuelles de l’offre. Les théories de la demande de la file d’attente et de la segmentation offrent une prise en compte plus complète des caractéristiques des emplois, mais sont limitées pour expliquer le rôle des parcours éducatifs et de leurs déterminants sur l’accès à l’emploi. Dans le cadre d’une approche inspirée de travaux anglo-saxons récents, les conceptualisations de l’économiste Amartya Sen et du sociologue Pierre Bourdieu sont associées pour pallier ces limites. Cette association permet de situer le rôle de l’éducation dans un système plus large d’inégalités d’accès, pour expliquer les situations de reproduction sociale comme de non-reproduction dans les parcours d’études et vers le marché du travail.
Dans une seconde partie, les investigations empiriques pour opérationnaliser l’approche se concentrent d’abord sur le système éducatif. À l’aide de données d’un grand établissement universitaire, les analyses s’intéressent en premier lieu aux parcours des diplômés en sciences à l’issue de l’obtention de la licence générale. La pondération par les capitaux économiques et culturels des parcours du secondaire et du premier cycle du supérieur permet de caractériser les éléments de parcours qui contrecarrent ou renforcent une reproduction qui n’en demeure pas moins dominante. Les investigations sur les parcours sont prolongées dans un chapitre suivant autour de la question du décrochage dans le premier cycle universitaire, à partir des données nationales de l’enquête Génération 2010. Une lecture à l’aune des capabilités permet d’illustrer la complexité et le caractère protéiforme du décrochage qui ne résultent pas seulement de problèmes d’orientation et d’échec, les formes et l’incidence du décrochage variant avec le milieu social d’origine.
La dernière partie de la thèse élargit la perspective seno-bourdieusienne à la transition entre l’enseignement supérieur et le marché du travail en mobilisant à nouveau les données Génération 2010. La pondération sociale est cette fois appliquée aux trajectoires de sortie de l’enseignement supérieur et permet de montrer que le parcours dans l’enseignement supérieur ne produit pas les mêmes effets sur les « capabilités pour l’emploi » et sur les aspirations professionnelles suivant le milieu social. In fine, les investigations sur les dispositifs d’accompagnement à l’insertion mis en place après la loi relative aux libertés et responsabilités des universités de 2007 suggèrent que, s’ils peuvent faciliter les transitions professionnelles, ces derniers peinent à réduire les inégalités de capabilités, étant donné la moindre participation des jeunes issus des milieux les plus modestes.
Mots-clés : Insertion professionnelle, Choix éducatifs, Parcours, Dispositions, Capabilités, File d’attente
Abstract : This thesis aims to analyze the inequalities in the educational pathways of young people in and to French higher education and their implications for access to the labor market. The interest in an analysis in terms of trajectories is becoming more and more legitimate with regard to the increasing variety of educational pathways, including access to the same higher education diploma. Indeed, inequalities in the integration of graduates into the labor market are increasing, not only between holders of distinct degrees but also comparable. This diversity justifies a closer look at the determinants and components of educational paths that influence early careers far beyond the final diploma. To explain this diversity and the determinants of individual choices, we’re drawing on an original socio-economic approach mixing Sen and Bourdieu concepts to describe the opportunities available to young people and the constraints they face in an institutional context marked by a queue for the best places in higher education and then in the labor market.Such an approach requires, in a first part, a review of the usual theories around the supply and labor demand and their main drawbacks when confronted with the reality of the routes. The labor queue and segmentation theories offer a more comprehensive view of the determinants of demand and job characteristics but are limited to explain the role of educational pathways and their determinants on access to employment. Within the framework of an approach inspired by recent Anglo-Saxon works, the conceptualizations of the economist Amartya Sen and the sociologist Pierre Bourdieu are associated to overcome these limitations. This association makes it possible to situate the role of education in a wider system of access inequalities, in order to explain situations of social reproduction as well as non-reproduction in the study paths and in the labor market.Empirical investigations to operationalize the approach focus first on the educational system in the second part of the thesis. Using survey data from a large university, the analyzes first deal with science graduates’ paths after obtaining the general bachelor. The weighting by economic and cultural capital of the courses in the secondary and the first stage of tertiary helps characterize the elements of range which either stymie or reinforce a nonetheless dominant reproduction. Investigations of the pathways are extended in a subsequent chapter on the issue of dropping out of undergraduate studies, using national data from the Generation 2010 survey. A reading by capability yardsticks illustrates the complexity and the protean character of dropping out, which does not only result from problems of guidance and failure, the forms and incidence of the drop-out varying with the social environment of origin.The last part of the thesis broadens the Seno-Bourdieusian perspective to the transition between higher education and the labor market by re-mobilizing the Generation 2010 data, including a specific and original module on university devices. This time, the social weighting is applied to exit trajectories of higher education and shows that these paths do not have the same effects on the « capabilities for work » and the occupational aspirations following social milieu. Ultimately, investigations into the integration support mechanisms set up after the 2007 Law on Freedoms and Responsibilities of Universities suggest that if they can facilitate professional transitions, they are struggling to reduce the « capability gap », given the lesser participation in these schemes by young people from the most popular backgrounds.