« Sortir des phytos en viticulture. Pratiques professionnelles, action collective et normalisation environnementale » Marion VIDAL

Thèse de doctorat en sociologie, soutenue en octobre 2015, à l’Université Toulouse Jean Jaurès, sous la co-direction de Denis Salles et Didier Busca

Jury :
Jean-Paul Billaud, PU, Université de Paris Ouest, Nanterre La Défense, LADYSS
Didier Busca, MCF, Université Toulouse Jean Jaurès, CERTOP (co-directeur)
Claude Compagnone, PU, AgroSup Dijon, CESAER (rapporteur)
Nathalie Lewis, PU, Université de Québec à Rimouski UQAR (rapporteur)
Denis Salles, DR, IRSTEA Bordeaux (co-directeur)
Marie-Gabrielle Suraud, PU, Université Toulouse III – Paul Sabatier, CERTOP

Résumé : L’impact des produits phytosanitaires utilisés en agriculture, notamment les herbicides, pose aujourd’hui des problèmes avérés, tant sur un plan sanitaire (menace de l’approvisionnement en eau potable, risque de pathologies liées à la présence de résidus dans l’alimentation, etc.) qu’environnemental (pollution des ressources en eau, perturbation des écosystèmes, etc.). Malgré l’implication du monde agricole et l’apport de financements publics significatifs, les politiques publiques déployées depuis plus de 40 ans en matière d’agri-environnement peinent à atteindre leurs objectifs, là où les systèmes durables de production (tels l’agriculture biologique) développés en réaction au modèle productiviste dominant s’avèrent probants mais marginaux. Dans ce contexte, la transition vers des systèmes de production plus respectueux de l’environnement demeure un défi pour les pouvoirs publics et les professionnels de l’agriculture conventionnelle : comment s’organiser collectivement pour « sortir des phytos » ?

A partir de l’exemple d’un dispositif expérimental visant la suppression des herbicides en viticulture par la technique de l’enherbement et initié par des professionnels de la filière dans différentes zone de production du Sud-Ouest de la France, la thèse propose de réinterroger, par le prisme d’une sociologie de l’action, la capacité d’innovation du monde agricole et de réaction des pouvoirs publics en matière d’agri-environnement, en prenant comme clé de lecture l’analyse de l’action collective professionnelle, moins visible car se développant en-deçà des dispositifs institués d’action publique et dans des espaces de débats plus confinés, parfois moins accessibles aux chercheurs.
Le travail de recherche montre que, dans de telles conditions, les objets, les mobiles et les collectifs de l’action environnementale ont pour propriétés d’être hétérogènes, équivoques, variables et flexibles, tout au long de leur mise en débat. Qu’il s’agisse des solutions alternatives mises en œuvre – dont le caractère réversible permet parfois de s’organiser pour ne pas sortir radicalement des phytos, ou de leurs conditions et capacités de transfert – qui, loin de répondre à de strictes enjeux agrotechniques, ne sont pas homogènes mais révèlent au contraire différentes figures d’adaptation des alternatives aux herbicides, la pluralité et la variation des situations soulignent – outre l’imprévisibilité de l’action collective – une impossibilité de standardisation, susceptible d’appeler des réponses institutionnelles différenciées pour un même problème d’environnement. L’instabilité des objets d’environnement suggère en effet qu’à la standardisation du design et des modes de pilotage de l’action publique pourrait se substituer un modèle – peut-être plus imparfait au regard des pouvoirs publics – qui privilégierait une plus grande adaptabilité des solutions et des modes de partenariat, quitte à miser dans une plus grande mesure sur leur fragilité et leur variabilité que sur leur robustesse et leur standardisation. En déplaçant le temps de la concertation et de la négociation de l’aval à l’amont des dispositifs d’action publique, le dispositif « Zéro Herbi Viti » et son analyse font ainsi le pari de rompre avec une vision diffusionniste de l’action publique qui tend à imposer dans son design (i.e. à travers ses dispositifs) des objets d’environnement (techniques et de mise en relation partenariale) qui ne résistent pas, bien souvent, à leur renégociation a posteriori par le monde agricole, celle-ci contribuant jusqu’ici à écarter les dispositifs de leur objectifs environnementaux.

Mots-clés : viticulture, environnement, désherbage, action collective, action publique, pratiques professionnelles, normalisation, processus délibératifs, innovation

Abstract : Pesticides used in agriculture are a known environmental problematic fact. Despite the involvement of agriculture and the contribution of significant public funding, agri-environmental public policies deployed for over 40 years struggle to achieve their goals, where sustainable production systems remain convincing but marginal. Faced with this context, designing and spreading alternative techniques to chemicals remains a challenge for government and professionals. From case of a professional project aiming at removing herbicides in the South West of France vineyards, this thesis proposes to re-examine, through the prism of a sociology that pay attention to action (less than actors), the innovation capacity of agriculture and the responsiveness of public authorities about agri-environment, focusing on the analysis of professional collective action as a way of regulating environmental public issues, and considering its development out, in parallel, upstream or below established public policies offer. The research shows that in such conditions, objects, mobiles and collectives comprised by environmental action are heterogeneous, ambiguous, variable and flexible, throughout their discussions. Plurality and change situations emphasize as much unpredictability of collective action that impossibility of standardization, that are likely to call (on the contrary) differentiated institutional responses to the same environmental problem.

mise à jour 3 novembre 2015