«La place du plaisir dans la socialisation alimentaire des enfants et des adolescents.» Anne DUPUY

Thèse de doctorat de sociologie soutenue le vendredi 10 Décembre 2010 à l’Université de Toulouse II – Le Mirail
Directeur de thèse
: Jean-Pierre POULAIN
Financement : Bourse CIFRE (Ferrero France, ANRT, CERTOP), Prix de recherche de la Fondation Nestlé

Résumé : Cette thèse s’attache à analyser un des objets les plus « futilisé » et les moins étudié par la sociologie, le plaisir, en montrant comment la convergence de demandes sociales sur l’alimentation enfantine et les modalités de transmission fait naître l’intérêt scientifique et contribue à thématiser l’objet dans et hors de la discipline. L’investigation sociologique adoptée pour étudier la place du plaisir dans le processus de socialisation relève de la sociologie de l’alimentation. Elle se fonde sur une architecture à double entrée, à la faveur d’une démarche bio-psycho-socio-anthropologique unificatrice qui cherche à dépasser les découpages classiques entre les disciplines et la dichotomie objectivité/subjectivité. Ainsi, la première entrée s’appuie sur le processus de socialisation au(x) plaisir(s) tandis que la seconde en révèle le rôle sur la socialisation. Par le prisme de cette dernière, il s’agit de montrer le façonnement social et culturel du plaisir c’est-à-dire la manière dont les enfants et les adolescents reçoivent, s’approprient mais aussi acceptent ou refusent des plaisirs socialement, culturellement et historiquement construits. Celle-ci permet également de s’interroger sur ce que déclenche le plaisir comme double acte de sens chez les jeunes mangeurs : ce que sensation et cognition apportent, par-delà les expériences et les ressentis de ces populations, aux dimensions sociales et culturelles du plaisir.

L’objet est exploré à partir de trois échelles d’analyse – macro-, méso- et micro- sociologiques. Les données correspondant à ces différents niveaux ont été collectées par une enquête quantitative portant sur trois sous-échantillons (1002 enfants et adolescents âgés entre 7 et 17 ans, 624 de leurs parents et 902 adultes représentatifs de la population française) ainsi que par une enquête qualitative réalisée auprès de 97 personnes dont 53 enfants âgés entre 7 et 14 ans.

Les analyses conduites sur ces données mettent en évidence la complexité du plaisir alimentaire en révélant non seulement une pluralité de dispositions socioculturelles et d’expériences vécues et sensibles mais aussi un faisceau d’articulations entre elles. Ainsi, à travers la place du plaisir dans la socialisation enfantine et adolescente, il est possible d’analyser la relation entre dispositions et vécu sensible et de réinterroger l’expérience de la modernité par les jeunes mangeurs. Le corps mangeant, les émotions et les passions sont combinées à des questions de sociologie générale. Cette conception permet d’entrevoir un jeu d’aller-retour entre soi et les autres, constitutif de la socialisation et fondateur des identités.

En dernière analyse, la thématisation du plaisir est abordée du point de vue de l’intensification et de la consolidation des connaissances, du travail d’organisation et de mise en récit ordonnateur, puis de diffusion. L’occasion d’interroger le rôle du sociologue est ici saisie par le biais de la thématisation du plaisir. La mise en avant des savoirs déjà constitués ou en cours de problématisation astreint le chercheur à questionner la maîtrise qu’il a de son travail et la manière dont il fournit des outils de gestion. La question des liens entre thématisation sociale du plaisir et expression de représentations utilitaristes sur son « bon usage » est abordée : la volonté de penser le plaisir suppose sans doute un intérêt pratique et pragmatique pour l’humain.

Mots-clés : Alimentation, Plaisir, Enfance et Adolescence, Thématisation, Socialisation, Corps, Dispositions

English summary : This thesis deals with analyzing one of the objects that have been rendered as the most « futile » whilst being the less investigated by sociology: pleasure. This research attempts to demonstrate how both convergence of social enquiries upon child diet and transmission modalities awakened some scientific interest, while contributing to thematize the object within and out of the discipline. The proposed sociological investigation, studying the position of pleasure into the process of socialization is related in the sociology of the food. It is designed upon double-entry architecture in the light of a unifying biological-cum-sociological-cum-anthropological reasoning. This reasoning intents to overcome the standard divisions between disciplines, as well as the objectivity/subjectivity dichotomy. Thus, the first entry is determined by the socialization-with-pleasure(s) process, whilst the second one conditions the socialization function. Through the prism of the latter, we aim at showing the social and cultural shaping of pleasure, that is to say the way children and teenagers receive, appropriate themselves, but also accept or reject socially, culturally and historically constructed pleasures. This entry enables as well to wonder what triggers pleasure as a dual act of meaning for young eaters: what do sensation and cognition give, beyond experiences and feelings of these populations, to social and cultural dimensions of pleasure.

The research object is being explored through three analytical scales: macro, meso and micro sociological. Data linked to these various levels have been collected through a quantitative study focusing on three sub-samples (1002 children and teenagers aged from 7 to 17 years old, 624 individuals from their own parents’ sample, as well as 902 adults representative of French population), notwithstanding a qualitative study performed upon 97 persons comprising of 53 children aged between 7 and 14 years old.

The analyses conducted on these data highlight the complexity of food-related pleasure by revealing not only a plurality of social and cultural dispositions, but also lived-cum-sensitive experiences, not omitting a spectrum of articulations between them. Therefore it is possible to analyze, through the position of pleasure within teenage-and-childhood period of socialization, the relation between dispositions and sensitive experiences. Hence we may understand the experience of young eaters to modernity. The eating body, as well as emotions and passions are being combined with general sociology issues. This conception it notably highlights the links between oneself and the others who create the identities.

Our last analysis approaches the theme of pleasure from the viewpoint of first the intensification and solidification of knowledge, second the layout and design of structuring tales, and lastly their diffusion. The opportunity to question the role of the sociologist is hereby grasped through by mean of the thematization of pleasure. Stressing upon already-constituted or being worked-out body-of-knowledge condemns the researcher to question the command of her work and the way she provides related management tools. The questions of the links between social thematization of pleasure and expression of utilitarian representations of its « good use » is here tackled: the will of thinking the concept of pleasure presumes probably an interest both practical and pragmatic for all-things human.

Key words : Food, Pleasure, Childhood and Teenage, Thematization, Socialization, Body, Dispositions

mise à jour décembre 2010